Diffusion de l’émission "Culture Crossroads" en vidéo à la demande sur NHK World
Vous pouvez regarder l’émission "Culture Crossroads" de NHK World (en anglais) - diffusée le vendredi 21 janvier 2022 - sur le site Web de cette chaîne. Ce programme présente les activités de promotion du haïku à l'étranger de Madoka Mayuzumi, et présente également une partie du "2nd World Online Kukai" qui s'est tenu en décembre dernier. Veuillez consulter le lien ci-dessous. (Période de publication : 2 ans à compter de la première diffusion) NHK World Japon vidéo à la demande : https://www3.nhk.or.jp/nhkworld/en/ondemand/video/2083019/
Enquête Fukushima #2
S'enfuirent dans la brume,
évanescents, l'école
et ses jours d'étude.
(manabiya mo manabishi hibi mo kagiroeru)
※kagero: « brume de chaleur dansante », décrit un phénomène qui se produit au printemps. Le très fort rayonnement solaire réchauffe la surface de la terre, donnant naissance à une sorte de brume dans laquelle la forme des choses semble trembler et scintiller. En haiku, ce nom est parfois transformé en verbe: « kagiroeru ».
Le 11 mars 2011, une semaine après la cérémonie de la remise des diplômes, l’école primaire d’Ukedo fut frappée par un séisme de magnitude 7 sur l’échelle japonaise JMA, qui compte 10 unités. Les enfants se précipitèrent sous leur table d’écolier, comme on le leur avait appris lors des exercices d’entrainement en cas de catastrophe, et retinrent leur souffle pendant les plus de trois minutes qu’a duré la secousse. L’école est à seulement 300 mètres de la mer. Redoutant un tsunami, les professeurs prirent immédiatement la décision de conduire rapidement les enfants sur l’endroit culminant le plus proche dans le village. Les jeunes de première année étaient déjà rentrés à la maison (leur journée scolaire se terminant plus tôt que celle des plus grands), mais les 80 enfants restant ainsi que les professeurs et le personnel se mirent à courir vers la colline d’Ohirayama ,située 2 kilomètres plus loin. Vociférant des encouragements les uns envers les autres tandis que le grondement du stunami se faisait entendre à l’arrière, les enfants grimpèrent sur la colline , se faufilant entre les arbres déracinés par le tremblement de terre . Très vite, le tsunami engloutit les maisons autour de l’école et atteignit le pied de la colline , mais lorsque les enfants et leurs maîtres protecteurs arrivèrent sur la route nationale 6 , le chauffeur d’un grand camion qui passait par là les embarqua sur sa pate-forme de chargement et les déposa à la mairie de Namie.
Au moins là,ils avaient atteint les abris d’évacuation où la plupart d’entre eux étaient récupérés par leurs parents qui les avaient cherchés désespérément. Mais pour certains autres il n’y avait plus espoir de revoir à jamais leur famille, quoi qu’ils attendissent. Le jour suivant, la centrale nucléaire Daiichi de Fukushima explosa, et un ordre d’évacuation de Namie fut donné. Comme cela dut être désespérant de solitude pour des enfants qui avaient perdu leur famille et qui devaient à présent rejoindre des lieux où ils ne connaissaient absolument personne.
En septembre dernier, je me dirigeais vers le sud en voiture à partir de Minamisoma sur la route nationale 6 qui était maintenant ouverte pour la première fois depuis trois ans et demi. Comme cette jonction entre le nord et le sud se trouvait dans la zone interdite d’un rayon de 20 kms,, on ne pouvait pas le faire avant. D’ailleurs on ne peut pas, même maintenant, entrer dans un rayon de 10 kms sauf si l’on détient un passe spécial. Toutes les voies est et ouest de la route nationale 6 sont fermées à la circulation par des barrières. Sûrement parce que c’était vendredi, il y avait énormément de voitures et on roulait au pas. Mais juste après l’entrée dans le district d’Odaka,tout semblait avoir subi une métamorphose. Les bâtiments écrasés par le séisme étaient à l’abandon et les maisons dévastées étaient envahies de végétation. C’était comme entrer dans une ville fantôme.
On fut arrêté à un poste d’inspection sur la route menant au district d’Ukedo, et un à un on devait montrer nos papiers d’identité et nos autorisations d’entrée. En roulant vers l’est le long du fleuve Ukedo, autrefois célèbre pour sa migration de saumons, l’école primaire d’Ukedo apparut sur un fond d’océan d’un bleu pur. Sans presque rien entravant le champ de vision, des voitures écrasées et rouillées gisaient çà et là comme des bouts de papier froissé. Il était impossible d’imaginer que cette bande de terre fut un quartier résidentiel avant. A Namie, plus de 500 personnes étaient mortes ou portées disparues. Le temple Kusano, célèbre pour son festival Anba vieux de trois siècles et danse Taue, son bosquet et son édifice ont été complètement balayés et les racines de ses grands arbres détruits s’accrochent péniblement à la surface du sol.
Les piles de gravats autour de l’école primaire ont été déblayées, mais en pénétrant dans le gymnase la première chose que l’on a remarquée était une banderole où l’on pouvait lire : « Félicitations à nos jeunes diplômés ». Dans les classes du premier étage, il n’y avait ni tables ni chaises , ni même de murs. Seul un sac à dos restait là, ouvert et couvert de boue. Les aiguilles de toutes les pendules marquaient 3h38, l’heure d’arrivée du tsunami. Quant aux classes du deuxième étage ,épargnées de cette vague destructrice, le temps semblait s’y être arrêté en plein vol, quatre ans auparavant. Ecrits sur un tableau au fond de la classe les mots ,« Objectif de ce mois » et en dessous « Révisons le travail de cette année. Ne confondons pas étude et récréation ». Les élèves avaient programmé la révision de l’année écoulée et préparé l’année à venir. Le bâtiment scolaire avait conservé le signe évident de la vie des enfants,peu avant le séisme jusqu’au futur qu’ils devaient approcher. Ils ne verront pas encore leur école de sitôt. Ils ne sont pas autorisés à pénétrer dans aucun secteur à niveau de radiations élevé comme celui-ci. Par les fenêtres des classes , on aperçoit le bleu indigo de l’océan et les cheminées de la centrale nucléaire. Détail ironique de l’histoire, avant la tragédie cette centrale était invisible car cachée par des arbres et des immeubles.
Il y a eu après la catastrophe des débats dans les préfectures d’Iwate et de Miyagi pour savoir s’il fallait conserver ou pas les bâtiments endommagés en mémoire du désastre. Mais l’école primaire d’Ukedo n’a ni été conservée ni rasée, elle est simplement restée en l’état. Pour être franc, elle a été abandonnée. Son image se mêle dans mon esprit avec les enfants de Fukushima qui sont, même maintenant, des personnes à charge impuissantes de la société adulte.
En quittant les lieux, nous sommes tombés sur un groupe d’étrangers qui visitaient l’école et il se trouve que c’étaient des bouddhistes du monde entier. Je les imaginais de retour chez eux parlant de ce qu’ils avaient vu à Fukushima et de l’école primaire d’Ukedo, et il me semblait entendre cette petite école, abandonnée comme une île déserte, se tourner vers le monde et commencer à élever sa voix autrefois silencieuse.
NB : Tous les élèves de l’école primaire d’Ukedo ont survécu. Cependant, un bon nombre d’entre eux ont perdu leur famille à cause du tsunami. La population entière de Namie a été déplacée et vit ailleurs, à cause du désastre nucléaire, dans des résidences provisoires à travers 24 préfectures, et l’école primaire d’Ukedo a été fermée définitivement.
Haîku et texte: Madoka Mayuzumi
Traduction en français: A.A & K.Y
Photo credit: Fukushima-Minpo Co., Ltd.
Source: 9 Juin 2015, Journal Fukushima Minpo
Enquête Fukushima #1
Ile Takizakura (cerisier en cascade) de la commune de Miharu, vêtu de bourgeons rouges, et ses branches qui commençaient tout juste à fleurir.
.A la poursuite des cerisiers en fleurs,
…
les cerisiers me suivent
(ou you ni owaruru you ni hana angya)
※Hana-angya: Le mot « hana », signifiant « la fleur », désigne le plus souvent la fleur de cerisier, en Haïku et en Tanka (poèmes courts). « Angya » signifiant un voyage ou un pèlerinage, « Hana-angya » signifie « pèlerinage en fleur », un voyage d’un endroit à l’autre, quelque part, à la recherche des cerisiers en fleur.
« A la mi-avril, je pense qu’il doit y avoir des cerisiers en fleur quelque part. » C’était la réponse qu’on me donna, lorsque je me suis renseignée sur la situation des cerisiers en fleur. A Fukushima, en raison de la diversité climatique, le front de floraison des cerisiers se déplace ici et là, la période de floraison dure plus longtemps que dans les autres régions du Japon.
En suivant les conseils qu’on m’a donnés, je me suis tout d’abord dirigée vers Koriyama, où les cerisiers en pleine floraison m’attendaient. Ces derniers bordent les chemins du Parc Kaiseizan et sont très vieux car ils ont été plantés il y a longtemps, à l’époque où les hommes cultivèrent la plaine sauvage d’Asaka.
S’épanouissant,
du cerisier radieux
aucun pétale ne tombe
(saki-michite koboruru hana mo nakarikeri)
Kyoshi Takahama
C’est en marchant dans le parc au clair de lune que le célèbre haïku, illustrant le moment culminant où les cerisiers sont entièrement éclos et dont aucun pétale n’est encore tombé au sol, jaillit spontanément de ma bouche. Et ces troncs épais ramifiés et tortueux témoignent des nombreuses années qu’il ont traversées dans l’extrême rigueur du climat.
Le lendemain matin, je me suis rendue auprès du cerisier géant appelé Takizakura de Miharu. Le cerisier dont les branches se déploient comme une cascade. Le corps entier de ce vieil arbre était vêtu de boutons rouges qui commençaient tout juste à éclore aux extrémités des branches effleurant le sol. Autour du cerisier en cascade, il y avait non seulement les personnes venues en admirer les fleurs, mais aussi les personnes qui venaient dessiner ou photographier les cerisiers ; cela a tout de suite créé un mur humain.
La commune de Miharu possède un certain nombre d’autres espèces de cerisiers; en plus des cerisiers en cascade, on trouve également des cerisiers pleureurs. Au temps féodal, on disait que les habitants de Miharu plantaient davantage de cerisiers pleureurs, ce qui permit à la commune d’avoir de beaux paysages. Et grâce aux cerisiers pleureurs, ils pouvaient délimiter leur domaine féodal.
En un sourire si doux,
le cerisier pleureur
caresse la terre et le ciel
(ten ni fure chi ni fure emau takizakura)
Haîku et texte: Madoka Mayuzumi
Traduction en français: A.A & K.Y
Photo credit: Fukushima-Minpo Co., Ltd.
Source: 13 May 2014, Journal Fukushima Minpo
J’ai reçu les informations comme quoi les fleurs du parc de Yonomori étaient en pleine floraison, donc j’ai filé tout droit sur l’avenue Hamadori, le tunnel de cerisiers long de 2,5 km environ, peut-être l’une des fiertés de la ville de Tomioka. Actuellement, transformée en zone piétonnière à 300 mètres de son entrée, elle est ouverte au public venant admirer les fleurs de cerisiers. À première vue, elle semble être une ville comme toutes les autres mais on remarque que toutes les maisons sont vides, et le seul bruit qu’on entend est celui qui provient de la voix des travailleurs chargés de la décontamination. Les personnes qui sont nées et qui ont grandi ici aiment bien sûr les fleurs, mais il y a eu un certain nombre de personnes qui ont volontairement choisi de vivre ici. En avançant dans le tunnel des cerisiers dont les pétales de fleurs se décrochent, j’ai vu une brume scintillante qui apparut à la limite de la zone autorisée. En s’approchant, le mirage s’éloigne et c’est ainsi qu’est né un autre nom: le nigemizu, "l’eau fuyante." Cela me fait penser que la bataille contre la radioactivité est comme "l’eau fuyante": plus on se rapproche, plus cela s’éloigne.
À la fin de mon pèlerinage des cerisiers en fleur, je me suis rendue à Hanamiyama (le mont de hanami ; hanami = admirer les fleurs) de la ville de Fukushima. Son maître des lieux, M.Abe Ichiro avec qui je m’étais entretenue l’an passé, est décédé en septembre dernier; c’est donc le premier printemps que la montagne passe sans son ami. "Tout ce qui est dans la montagne est tout ce que mon père a laissé. Ce sont toutes les choses qu’il appréciait.", m’a dit son successeur, son fils Kazuo. Les fleurs auxquelles M. Abe a consacré sa vie, fleurissent cette année encore de manière sublime, et donnent joie et consolation aux visiteurs. L’esprit de M.Abe continue à vivre à travers sa famille et ses fleurs.
« La nature est vraiment admirable....Le moment venu, les fleurs s’ouvrent et fleurissent. Les fleurs font leur travail en silence et disparaissent même si elles ne sont ni louées ni honorées.» Je me rappelle les paroles du bonze zen Miyazaki Ekiho. Elles me reviennent à l’esprit comme si elles avaient été dites pour que les cerisiers de Fukushima revivent et fleurissent pleinement et courageusement après un hiver long et rigoureux. Un cerisier isolé, des cerisiers pleureurs, des tunnels pleins de cerisiers, les montagnes de cerisiers en fleurs - tous ces cerisiers en fleurs se tenaient ferme, fleurissant dans tant d'endroits différents. En regardant la neige persistante du début du printemps (lièvre de neige-yuki usagi) sur le mont Azuma par la fenêtre du train, j’ai dit au revoir à Fukushima en fleurs.
Le lendemain, les médias ont parlé d’un couple dont la photo de mariage a été prise sous les cerisiers du parc de Yonomori. Ces deux jeunes gens n’étaient pas un mirage, mais ils se tenaient là, fiers, reflétant le soleil printanier et portant l'avenir de Fukushima dans leur cœur.
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